Avant de quitter Conakry ce mardi 14 mai 2024 pour l’Europe, l’ancien Premier ministre guinéen et diplôme Onusien, François Loucény Fall s’est confié en toute exclusivité à un journaliste de votre quotidien en ligne Lerevelateur224.com ce lundi 13 mai, à son domicile privé situé à Cobayah, dans la commune de Lambanyi.
Dans cette deuxième partie de la grande interview qu’il a accordée à notre rédaction, le leader du parti Union nationale des patriotes de Guinée (UNPG) a jeté un regard sur le fonctionnement de la machine judiciaire du pays. Des dossiers brûlants à la CRIEF, à l’emblématique procès des douloureux évènements du 28 Septembre 2009, dont le procès tend vers la fin, François Loucény Fall a livré ses analyses. Entretien exclusif!
LEREVELATEUR224.COM : M. Le président, plus de deux ans après la mise en place de la Cour de Répression des Infractions Economiques et Financières (CRIEF), les Guinéens s’interrogent. Des voix s’élèvent pour titiller le fonctionnement de cette juridiction, mise en place pour réprimer les délits économiques et financiers. Quel regard portez-vous sur le fonctionnement de la CRIEF ?
FRANÇOIS LOUCÉNY FALL : Vous savez, je suis un juriste de formation, je suis donc un légaliste. Je crois profondément au respect des droits de l’homme, très profondément. Mais je crois aussi à la force de la justice. Quand des personnes sont poursuivies par la justice, il est de la responsabilité des autorités judiciaires de les traduire devant les tribunaux par des temps raisonnables, pour qu’il y ait des procès. Et donc, cette question que vous venez de soulever, j’aurais souhaité que les procès se tiennent et qu’on sache exactement qu’est-ce qu’on reproche à telle ou telle personne. Mais je ne vais pas mettre le couteau sur la gorge des juges pour le faire.
Mon souhait est que la justice puisse vraiment accélérer le processus, étant donné qu’il y a beaucoup de premiers ministres qui sont liés à cette question. Je souhaiterais que la justice accélère afin de traduire ces personnes devant les tribunaux, qu’il y ait un procès public et contradictoire, que s’ils ne sont pas coupables, qu’ils soient libérés, s’ils le sont, que la justice le dise également. C’est ce que moi j’attends de la justice.
Beaucoup ne comprennent pas pourquoi des décisions de justice rendues par la cour suprême en faveur des anciens dignitaires du régime d’Alpha Condé ne sont pas exécutées par la CRIEF. Face à cette situation, comment comprendre l’attitude du parquet spécial de la CRIEF ?
Au cours des dernières années, j’ai constaté avec beaucoup de tristesse, que les différents organes de la justice ne sont pas respectés. Il y a une hiérarchie en ce qui concerne les juridictions. Les tribunaux de simple police, jusqu’à la Cour suprême, il y a une échelle de valeur, que les décisions des tribunaux supérieurs doivent avoir force de loi. Et en tant que juriste, c’est ce que nous avons appris. C’est le b.a.-bas du droit. Je ne comprends pas du tout ce qui se passe dans le système judiciaire guinéen, je sais qu’on a dit beaucoup de choses sur la justice guinéenne ces dernières années, qui a pris souvent des allures qui ne sont pas tout à fait souhaitables, nous le savons tous.
Nous pensons qu’avec l’arrivée du nouveau ministre de la Justice et des Droits de l’homme, que les choses vont rentrer dans les rangs, parce que vous savez, la justice est l’un des piliers fondamentaux de la quiétude sociale. Il faut que la justice fonctionne normalement.
Vous êtes à la fois victime et témoin des douloureux évènements du 28 septembre 2009. Le procès qui se tient au tribunal de Dixinn, délocalisé à la cour d’appel de Conakry, est dans sa phase décisive. Je parle bien de la phase des plaidoiries et réquisitions. La derrière d’ailleurs avant le verdict final. Êtes-vous satisfait du déroulement de cet emblématique procès ?
J’avoue que je suis satisfait de la manière dont le tribunal a conduit ces débats, avec beaucoup de patience. Ils ont pris beaucoup de temps, écouté tout le monde, il y a eu des confrontations. C’est nouveau en Guinée, qu’un tribunal siège sur des problèmes de crimes massifs, c’est une nouveauté en Guinée. Nous avons eu une histoire très tumultueuse, nous avons connu des procès ici qui ne respectaient pas les normes. C’est la première de fois de voir un procès d’une telle envergure, jugé même un ancien président et aussi, des hauts fonctionnaires de l’armée, c’est une grande victoire de la Guinée.
Nous avons donné l’exemple à plusieurs pays africains, où plutôt que d’aller à la CPI qui est décriée aujourd’hui par plusieurs africains, que les africains au terme du statut de Rome qui a créé la Cour pénale internationale, et qui a reconnu dans le cadre de la complémentarité, le droit à tous les pays africains de juger des grands crimes contre l’humanité, des crimes de guerre ou autres, que la Guinée ait été un des premiers à organiser un procès de ce genre, je pense que c’est à saluer. Jusque-là, je pense que c’est sans faute.
On a vu les accusés se défendre en toute liberté, avec une pléiade d’avocats, nous avons vu les victimes, nous avons vu tout. Et, je pense qu’au stade où nous sommes aujourd’hui, on n’est plus loin de la conclusion de ce procès. C’est la dernière phase, dès lors que, les procureurs feront des réquisitoires, et que les plaidoiries vont finir, le tribunal statuera en ce moment sur ce procès. C’est une grande avancée pour la Guinée.
Le report de la demande de requalification des faits en crimes contre l’humanité par le juge Ibrahima Sory 2 Tounkara, a irrité la colère des avocats de la défense. Qu’en pensez-vous ?
C’est son droit. Mais, moi j’ai témoigné devant ce tribunal, je crois que j’ai été un des premiers à soulever cette question. Lorsque j’ai soulevé cette question de crimes contre l’humanité, moi j’étais sûr et certain. Dans la journée même du 28 septembre 2009, je l’ai dit au Commandant Tiegboro quand il nous a trouvé à la clinique Pasteur. Je lui ai dit que vous venez de commettre des crimes contre l’humanité. Et lui il savait de quoi je parlais.
Et comme je le rappelle, j’étais à Rome, j’étais le représentant de la Guinée au moment de la conférence diplomatique qui a créé la Cour pénale internationale. Donc, je connais le fonctionnement du statut de Rome, je savais que les crimes qui ont été commis en Guinée étaient effectivement des crimes contre l’humanité. On parle de viols massifs, massacres massifs et autres contre des populations civiles, moi, je savais, je l’ai dit devant le tribunal. Mais il ne m’appartient pas de qualifier devant le tribunal, le tribunal est souverain pour qualifier les faits. Le Ministère public a demandé une requalification, il y a eu des débats et j’ai suivi, je crois que le président a été sage. Il a dit au moment où le tribunal va délibérer, en ce moment, on saura sur quel empire, les peines vont être annoncées. Moi-même j’attends avec beaucoup de curiosité, ce que le tribunal va décider.
Interview réalisée par Alpha Madiou BAH.
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