La politique ingrate et les politiques ingrats (la chronique de Daff)
Quand l’ingratitude tend à devenir une valeur !
La Nature et l’Histoire nous parlent tous les jours ; nous entendons mais n’écoutons pas. Nous regardons mais ne voyons rien. «Les ingrats ont une mémoire fabuleuse, car inexistante» (Nouhad Mansouri).
Parait-il que l’ingratitude devient un comportement de plus en plus partagé au détriment de la reconnaissance. Le cas échéant, il convient d’essayer de comprendre ce qui fait le mal et de ne pas se complaire dans les constats et la description de ses symptômes. Dans cette optique, on peut dire que l’ignorance de l’importance que revêt cette vertu cardinale qu’est la reconnaissance peut conduire certains à ne pas lui donner sa véritable place dans leurs relations interpersonnelles. L’ingratitude est le contraire de la reconnaissance dans le sens où un individu bénéficie d’un bienfait et ne manifeste pas à l’égard de son bienfaiteur une attitude, des propos ou des actes de gratitude et de reconnaissance.
À dire vrai, l’ingratitude ne saurait être une valeur, elle est une véritable anti-valeur, car elle divise les familles et ronge les sociétés. Et ce qui est bizarre c’est que certaines gens, sans aucune gêne, expriment leur ingratitude à ceux qui hier leur ont rendu d’énormes services. En regardant attentivement ce qui se passe dans la vie des organisations, notamment en politique, dans les administrations et ailleurs, on se rend bien compte que les divisions naissent de l’ingratitude. Autrement dit du manque de reconnaissance vis-à-vis des autres. Que l’on veuille ou non, car cela se justifie chaque jour qui passe, en matière politique par exemple, on ne réussit généralement que si l’on a bénéficié de l’appui des anciens. Sous d’autres cieux, on parlerait même de l’initiation. Ou du parrainage. Pourquoi donc ne pas le reconnaître, même si l’on a réussi par soi-même à escalader les marches pour se retrouver dans les hautes sphères de la politique ? C’est ce manque de reconnaissance qui conduit le plus souvent aux déchirements et qui s’étalent parfois sur la place publique. On le voit avec certaines formations politiques qui se transforment en des agoras d’invectives et diffamations des anciens par des jeunes. Bizarre ! Ces « ingrats » sont présents dans le monde politique. C’est même l’une des causes essentielles conduisant à la prolifération de partis politiques, nés souvent des dissidences entre dirigeants ou entre fidèles. Hier simples militants d’un parti, aujourd’hui hissés au rang de leaders, certains individus lancent des campagnes de diabolisation contre leurs alliés d’hier ou leurs mentors, ceux-là même qui les ont formés et montrer la voie. « Nous avons décidé de quitter cette formation politique puisque là-bas la parole est tronquée », disent le plus souvent ces dissidents ingrats. Que dire à l’enseignement ? « L’enseignement est un métier dans lequel sont formés plus d’hommes ingrats que d’hommes reconnaissants », disait un enseignant à l’un de ses anciens élèves qui l’avait totalement méconnu.
Une chose est sûre : l’ingratitude ne paie pas.
Notre monde est rempli de gens qui ont rendu tellement de loyaux services ou ont montré un sens patriotique si rare, mais qui, en retour, ont été payés en monnaie de singe. Ce sont souvent des gens biens, des hommes d’honneur qui nous aident, parfois au péril de leur vie, à sortir la tête de l’eau ou à nous hisser au sommet de la gloire. Ce sont des hommes et des femmes d’une fidélité d’Achate (Achate fut le fidèle et dévoué compagnon du Prince troyen Enée) qui ne marchandent pas leur soutien et leurs prières tout le long de notre chemin de croix et de notre traversée du désert, jusqu’à ce que la vie nous ouvre ses bras avec une promesse de lait, de miel et de gyrophares en abondance. Ces gens-là passent pour des citoyens honnêtes et courageux qui ont pris des risques inimaginables pour nous sauver de l’horreur de la tyrannie et des chaînes de l’oppression. Mais comment le leur rendons-nous ? Leur sommes-nous toujours reconnaissants, et leur manifestons-nous suffisamment de gratitude ? Au début, nous reconnaissons leurs bienfaits et les louons d’autant plus qu’ils nous redonnent vie, espoir, fierté et dignité. Mais très rapidement, nous commençons à les jeter aux oubliettes, ou même à les mépriser. Bien souvent, moment incompréhensible et surprenant, il nous arrive de cracher à salves soutenues sur ce bel agir et nous nous attelons à mettre en pièces détachées et irrécupérables notre bienfaiteur. Je crois que le schéma est toujours le même dans la vie privée comme en politique. Dans la vie privée, on peut toujours faire de l’ingratitude un vice moral. Mais, en politique, lieu par excellence du calcul et de l’intérêt, peut-on valablement faire de la gratitude une vertu et de l’ingratitude, un vice ?
Je m’interroge : pourquoi des bienfaits inouïs et prodigieux doivent-ils être toujours récompensés par des blessures outrageantes ? Pourquoi le salaire du bel agir devrait-il toujours être le mal agir ?
Prenez ce pauvre indigent sous votre aile protectrice et traitez-le comme votre propre fils, il deviendra plus tard le redoutable ennemi qui vous fera mordre la poussière ! Battez-vous corps et âme, et faites de ce quidam un homme important et incontournable du pays, il y a de grandes chances qu’il vous renie trois fois avant même que le coq n’ait songé à chanter ! Investissez toute votre fortune et gaspillez votre vigueur et votre jeunesse pour donner le pouvoir d’Etat à un proche, un ami d’enfance, un aîné adulé, un associé honnête, il veillera, une fois installé solidement, à vous détruire méthodiquement et impitoyablement avant de vous jeter dans la corbeille de l’histoire ou de vous livrer en pâtures à vos ennemis ! Mettez votre vie dans la balance et libérez votre peuple des griffes d’un pouvoir autocratique, bientôt vous ferez l’amère expérience de l’amnésie et de l’inénarrable ingratitude des peuples, toujours prêts à vous balancer du haut de la roche tarpéienne.
Vous et moi connaissons des gens qui ont tout donné et peut-être aussi tout perdu dans le même temps pour installer leur Parti et leur Mentor au pouvoir et qui, pour cela même, sont comme oubliés dans le partage du butin national, s’ils ne sont pas purement et simplement houspillés, humiliés, battus, combattus et… abattus !
Je m’interroge à nouveau : peut-on parler d’ingratitude et/ou de reconnaissance dans une relation de nature « politique », c’est-à-dire une « amitié entre le pied et la main » ? La main soigne toujours le pied blessé ; mais est-il arrivé de voir le pied soigner un jour la main ? Il faut donc y réfléchir par deux fois quand, dans nos causettes de salon ou nos clabaudages sur le net, nous nous plaisons à accuser certains hommes politiques de ne pas être reconnaissants, ou d’être tout simplement ingrats. C’est que l’Ingratitude est le démon qui nous dévore tous, individu et peuple. L’histoire le prouve suffisamment, et ce n’est pas Jésus-Christ qui nous dira le contraire, lui qui, après tant de miracles accomplis pour soulager la souffrance des Juifs, après un accueil quasi royal à Jérusalem, a été « récompensé » par un châtiment réservé aux plus grands criminels ! La nature humaine est la même en tout temps et en tout lieu. Les hommes naissent, vivent et meurent selon les mêmes lois de la nature. Ce qui arrive à un seul homme peut arriver à tous les hommes. La Nature et l’Histoire nous parlent tous les jours ; nous entendons mais n’écoutons pas. Nous regardons mais ne voyons rien. L’ingratitude est douloureuse pour celui qui la subit parce qu’il attend quelque chose qui ne vient pas, et qui ne viendra très certainement pas. Ne plus donner pour ne plus souffrir ? On peut donner dans le cadre d’un contrat. Mais, dans une relation où il n’y en a pas, on ne peut s’en prendre qu’à soi : « Je n’aurais jamais dû lui faire confiance, le faire entrer dans mon intimité, lui confier telle ou telle responsabilité… » Bien vivre l’ingratitude est difficile dès lors qu’on attend quelque chose de l’autre. Mais on peut aussi relativiser cette attente et considérer que l’autre est libre et qu’il ne va (ou ne doit) pas forcément répondre à nos attentes. Le seul « traitement » pour ne pas souffrir de l’ingratitude reste l’anticipation, et elle seule !
D’ailleurs, le plus souvent, l’ingrat ignore qu’il en est un. Et pour peu qu’il le sache, il ne viendrait pas le crier sur tous les toits. « Il n’y a qu’un seul vice dont on ne voit personne se vanter, c’est l’ingratitude », a écrit le poète Gérard de Nerval.
Nous avons tous des moments de non-reconnaissance. C’est juste la nature humaine.
La non-reconnaissance constante est souvent liée à l’égoïsme. Le monde tourne autour d’eux, et ils pensent qu’il est naturel que d’autres fassent des choses pour eux. Donc, ils n’ont pas tendance à sympathiser avec les souffrances ou les besoins des autres ce n’est tout simplement pas leur problème. C’est seulement quand ils ont besoin de quelque chose de toi qu’ils apparaissent, ils ne suggèrent même pas de se réunir juste pour rattraper le retard, et ils ne vont pas envoyer de SMS juste pour voir comment vous êtes. Ils te prennent pour acquis.
Les gens ne vous aiment que l’orsqu’ils peuvent profiter de vous. Quand ils ne le peuvent plus, ils vous collent une étiquette négative. Macky Daff