Après la présentation de l’avant-projet de la nouvelle constitution, le Conseil national de la transition (CNT) s’active déjà pour sa vulgarisation. C’est dans ce cadre qu’un atelier d’examen et de validation du projet de guide de la légistique s’est ouvert ce lundi 5 août 2024, à Conakry. Cet atelier qui a été lancé par le président du CNT, Dr. Dansa Kourouma, en présence de certains membres du Gouvernement, dont le Garde des Sceaux, ministre de la justice et des droits de l’homme, Yaya Kaïraba Kaba, réuni 165 experts nationaux.
C’est le centre national de perfectionnement à la Gestion (CNPG), sis à Donka, qui abrite cet atelier de trois (3) jours. Un atelier qui émane de constats, à la suite de certaines analyses, qui révèlent que plusieurs problèmes persistent dans le secteur normatif guinéen, qui sont de nature à compromettre l’état de droit et de la démocratie. Il s’agit entre autres des risques d’inefficacité des textes normatifs pour défaut d’étude d’impact et d’évaluation, de la faiblesse de l’accès aux textes juridiques et de l’insécurité juridique, du fort risque d’inflation législative et d’incohérence de la législation.
Pour pallier ces tares dans le secteur normatif et en prélude à la vague de rédaction des textes de lois qui marque la fin de la transition pour un retour à l’ordre constitutionnel, le président du CNT, Dr. Dansa Kourouma a créé en mars 2022, la Direction des Affaires juridiques et de la légistique (DAJUL), mis en place une commission spéciale et leur a assigné la mission de l’élaboration du projet de Guide de la légistique.
Ainsi, après plusieurs mois de recherches et d’écriture, la DAJUL a élaboré le projet de Guide de la légistique et en a fait présentation en conférence des présidents du Conseil national de la transition. L’objectif général de cette série d’ateliers, est d’ouvrir l’harmonisation des pratiques de l’ensemble des acteurs de la chaine normative guinéenne, notamment en ce qui concerne la conception, la rédaction, l’examen et l’évaluation des textes juridiques.
‘’Nous réunissons les experts de la chaine de production normative de la Guinée. Il s’agit des ateliers pour examiner et valider le projet de guide de la légistique que le CNT, le ministère de la justice et le Secrétariat général du Gouvernement, ont collaboré pour élaborer. Il s’agit de faire maintenant l’examen de ce document pour l’enrichir. Il n’y a pas de séparation entre les participants. On les a mélangés, de sorte que, dans chaque atelier, on ait une diversité de profils autour du document. Parce que, quand on parle de légistique, on ne parle pas que de questions de droit, on ne parle que de questions de l’administration du territoire, de l’habitat, on parle de tous les aspects à la fois de la vie sociale. On a décidé que, les grands acteurs et experts de différents ministères se retrouvent autour de ce document, pour l’enrichir. Donc, dans chaque atelier, il y aura cette diversité de profils’’, a fait savoir Aboubacar Foté Soumah, Directeur des affaires juridiques et de la légistique du CNT.
Prenant la parole, le président du Conseil national de la transition a magnifié le bien-fondé de cette démarche. Selon Dr. Dansa Kourouma, cela découle d’un constat amer, qu’il a eu à faire, lors de son passage au transition en 2010.
‘’J’ai eu l’occasion d’être membre du CNT en 2010. Et d’y travailler comme secrétaire parlementaire. J’ai été confronté à la réalité de l’incohérence dans les textes juridiques, à la fois la lettre de lois, leur esprit, mais aussi leur matière. L’utilisation de la majuscule par exemple dans les textes de lois. Ceci nous a permis d’avoir un même texte de lois, plusieurs interprétations, chez le juge. Alors, nous créons des problèmes à la fois aux citoyens, pour la compréhension des lois, à cause de leur complication, à cause du temps des verbes inappropriés, mais aussi du contenu des textes. Également, nous créons des difficultés aux juges, dans l’interprétation et l’application des lois.
Un autre élément qui me semble important, nous avons vu en Guinée, code électoral, plusieurs versions, constitution, plusieurs versions. Mais c’est quoi les différentes versions ? C’est parce que le contenu, il y avait des différences dans le contenu des différents textes qui ont été publiés, à plusieurs niveaux. Je me suis dis : l’un des premiers défis à relever, si Dieu a fait que, presque 15 ans après, je me suis retrouvé à la tête de cette institution, c’est de corriger ce tare à notre système normatif. Mais l’un des éléments les plus importants, qui me brise le cœur, c’est la faiblesse des exposés des motifs de lois que nous recevons. C’est ça qui doit garantir l’esprit qui est derrière la réforme proposée par le Gouvernement et de convier le législateur à une bonne compréhension de l’esprit et de la lettre de la loi. Mais les exposés de motifs sont pauvres, parfois, c’est pour nous rappeler, comment le texte de loi est organisé, sans aucune étude d’impact juridique préalable. C’est pourquoi, on s’est dit, la transition est une occasion de refondation, mais aussi de rectification institutionnelle, qui doit passer par une prise de conscience individuelle, mais aussi collective, de tous les acteurs de la transition’’, a justifié Dr. Dansa Kourouma.
Dans la démarche du Conseil national de la transition, le secrétariat général du Gouvernement, le ministère de la justice et des droits de l’homme y sont associés. Pour le président du CNT, il s’agit là d’un grand moment pour la Guinée, qui va avoir pour la première fois de son histoire, un document de référence, sur la production, l’évaluation, mais aussi, la vulgarisation des textes normatifs.
‘’Je me suis associé au secrétaire général du Gouvernement, qui est aussi, l’un des otages de ce manque de normes, d’encadrement légistique dans notre pays, et le ministre de la justice, qui est le patron de l’administration de la loi, qui sont des acteurs essentiels avec lesquels nous cheminons. Donc, aujourd’hui, c’est un grand moment pour notre pays. La Guinée va avoir pour la première fois, un document de référence, sur la production, l’évaluation, mais aussi, la vulgarisation des textes normatifs. Quand on dit textes normatifs, au sommet, c’est la constitution, les lois, mais aussi, les décrets, les arrêtés, et autres documents importants.
Quand vous voyez comment les notes circulaires sont élaborées, dans les administrations de l’intérieur du pays, d’une préfecture à une autre, c’est des schémas différents, c’est des méthodes différentes. On n’a même pas la même manière de concevoir le sens d’une circulaire. Donc, c’est pourquoi, ce n’est pas un document pour dire où placer les majuscules et les minuscules, c’est plutôt pour encadrer d’une manière globale le processus de production et le processus d’intégration de la norme législative, comme levier essentiel de la refondation de l’Etat et d’une bonne administration de notre pays.
Ce document, ce n’est pas tous les pays africains qui l’ont. Même en France, c’est seulement dans deux grandes écoles où on enseigne. En Guinée, on ira plus loin avec l’aide du Gouvernement, pour que la légistique soit enseignée désormais, dans les facultés de droit et de sciences politiques, parce qu’on n’a pas de grandes écoles en matière de sciences politiques et de droit’’, a ajouté Dr. Dansa Kourouma.
Ce sont en effet tous les acteurs majeurs de l’élaboration des normes de notre pays, qui se retrouvent pour éditer ce référentiel, mentionne pour sa part, Benoît Kamano, ministre Secrétaire Général du gouvernement.
‘’Aujourd’hui, c’est une première, parce que les acteurs majeurs de l’élaboration des normes de notre pays se retrouvent pour éditer un référentiel, qui va nous permettre d’avoir dans l’esprit d’élaboration de normes, une façon d’écrire qui est compréhensible à l’ensemble des citoyens. À ce titre, le CNT, le Secrétariat général du gouvernement, le ministère de la Justice ont collaboré, à travers un comité de pilotage, à l’élaboration d’un premier draft 0 (un premier brouillon), afin que les conseillers juridiques, les directeurs des bureaux de stratégie et développement (BSD), les cadres des départements se retrouvent ici, pour travailler sur ce document.
C’est une première pour notre pays de se doter d’un guide logistique. C’est un document fondamental qui va nous permettre de lire désormais tous les textes (loi, ordonnance, arrêté, décret, décision, note de service), de la même façon à n’importe quel endroit de notre pays, et de nous permettre d’éviter les interprétations fantaisistes des textes qui sont élaborés. Lorsque les normes sont établies, il sera plus facile pour chacun d’entre nous d’élaborer, de lire et de comprendre plus aisément les textes qui sont mis à notre disposition.
Dans cette salle, il y a des conseillers juridiques, des directeurs des bureaux des stratégies et de développement, ainsi que des secrétaires généraux. En faite, c’est l’ensemble de la chaine d’élaboration des normes. Elaborer une norme, c’est d’abord l’esprit, un problème se pose dans un domaine précis de l’État (santé, sécurité, protection des personnes vulnérables), des experts du domaine élabore une note technique, remontent à une direction qui, elle-même, élabore des recommandations. Parce qu’on passe un décret, un arrêté ou une loi, afin de cadrer la portée de cette norme-là. Une fois élaborée, elle passe par un conseil juridique, une direction juridique ou un collège de personnes, sectorielles, techniciens compétents. Ensuite, elle passe au Secrétariat général du gouvernement, en comité d’examen des textes de loi, qui contribue à améliorer, à renforcer, et surtout, à ressortir l’impact social et économique du texte en question dans l’exposé du motif. Donc, c’est l’ensemble de ces personnes là qui se retrouvent ici et des partenaires externes, pour participer à l’élaboration du premier guide légistique de notre pays’’, a-t-il souligné.
Le guide est un ensemble d’instruction à suivre étape par étape, pour arriver à une solution. Selon Mohamed Aly Thiam dit Éric Thiam, président de la commission constitution, lois organiques, administration publique et organisation judiciaire, il n’y a pas une loi efficace si elle comporte des ambiguïtés ou si elle est plutôt caractérisée par la facilité.
‘’Dans la loi, on n’utilise pas n’importe quels mots. Donc, il faut que la loi soit égale et uniforme pour tout le monde. Dans son intelligibilité qui est la condition de l’adhésion du citoyen aux règles d’éthique. Cette initiative, c’est de laisser à ceux qui viendront après nous, une référence, un guide, des directives à suivre.
Monsieur le président, nous n’avons pas la prétention de vous présenter quelque chose qui est parfaite, non ! Nous voulons vous inspirer. Nous voulons ouvrir largement une discussion, pour que ce que nous allons produire ensemble respecte les droits: efficacité, efficience et économique… Ce sont toutes les composantes de l’Etat qui sont ici: le judiciaire, le législatif et l’exécutif, pour discuter de la manière ensemble, d’apporter des solutions acceptables à nos citoyens. Le guide de la légistique a une première cible: le citoyen. Mais pour que le citoyen comprenne, il faut que celui qui conçoit la loi, sache qu’est-ce qu’il a à faire’’, a-t-il estimé.
Ce premier atelier sera clôturé le 8 août prochain avec plusieurs résultats attendus. Et parmi les résultats attendus dans la prise en compte du Guide de la légistique, les amendements présentés par l’ensemble des acteurs de la chaine de production normative guinéenne, les points de vue des acteurs de la chaine de production normative qui seront harmonisés, le Guide de la légistique de la République de Guinée qui sera disponible pour tous les acteurs de la chaine normative.
Madiou BAH.